Il faut etre uni pour reconstruire

Il faut etre uni pour reconstruire

Des mesures au niveau national et international devront être prises si l’on veut espérer une reconstruction en Afghanistan
Ahmed Rashid
Thursday, October 6, 2005

LAHORE: Le 3 Octobre, une foule d’au moins 5000 afghans se sont rassemblés à Kaboul et ont manifesté afin de protester contre le meurtre d’un candidat à la prochaine élection législative. Ils ont également réclamé la démission du chef de guerre le Général Atta Mohammed, un gouverneur provincial. Quelques jours auparavant, le Ministre de l’Intérieur Ali Ahmad Jalali, un des proches collaborateurs du président Hamid Karzai –fortement respecté pour son honnêteté et son souhait de voir engager de véritables réformes- avait démissionné, dans un élan, selon ses amis, de “colère et de frustration”.

Karzai fait face à un défi à double visage, puisqu’il doit à la fois composer avec le peuple Afghan et avec les élites au sein de son propre gouvernement. Clairement, bien que les élections législatives afghanes se soient achevées, le plus dur reste à venir. Au moins 1200 personnes ont été tuées cette année par des actes de violences qu’on impute à la guérilla talibane, et les élections présidentielles et législatives ont coûté à la communauté internationale la bagatelle de 300 milliards de dollars. La communauté internationale et l’administration Karzai sont toutes deux concernées par la stabilisation et l’amélioration de l’effectivité de l’Etat et de ses organes, tout en menant la lutte contre l’insurgence talibane, le trafic de drogue, la corruption, et la dilution du pouvoir.

Peu a été fait pourtant dans les quatre ans suivant la défaite des Talibans pour assurer le succès de cet agenda. Et désormais les deux composantes essentielles de ce succès –l’alliance occidentale ( la coalition menée par les Etats-Unis, l’OTAN et les donateurs d’aide internationale) et le gouvernement Karzai- apparaissent comme vacillants alors même que l’insurrection talibane reprend des couleurs.

Deux jours après les élections du 18 septembre pour le renouvellement du parlement et de 34 conseils provinciaux, Karzai avait fièrement déclaré aux journalistes que l’Afghanistan, “possède maintenant une constitution, un président, un parlement, et une nation qui est pleinement engagée dans la gestion de son propre destin.” Cependant, il a échoué à assurer à ce que l’architecture politique, construite au prix de nombreuses vies, parvienne à se concrétiser par des réformes sur le terrain.

La faible participation électorale a révélé la désillusion populaire qui ne cesse de croître, face à un gouvernement que l’on juge comme ne s’engageant pas assez dans les réformes nécessaires au pays. Comparé aux 70 % de votants inscrits lors de l’élection présidentielle un an auparavant, seulement 53 % des inscrits ont voté pour l’élection législative. A Kaboul, la ville la plus politisée du pays, la participation n’était que de 36%.

Dans le même temps, l’insurrection talibane a démontré qu’elle demeurait une force de contestation puissante lorsque, par une attaque urbaine inhabituelle et dévastatrice, le 28 septembre, un attentat-suicide a fait neuf victimes parmi les soldats Afghans et blessé 36 personnes à l’extérieur d’un centre d’entraînement militaire à Kaboul. Les Afghans, y compris Karzai, se déclarent profondément soucieux de voir les dirigeants talibans continuer à vivre et à lancer des opérations depuis le Pakistan.

La situation actuelle diffère drastiquement des espoirs et des visions qui avaient pu se former sur l’Afghanistan un an auparavant. Après les élections présidentielles, Karzai avait promis d’utiliser les 12 prochains mois pour mener un agenda vigoureux de réformes qui concernerait l’ensemble de la société en Afghanistan. Et au lieu de cela, à travers ses actions politiques –et plus important, à travers son inaction-, il a véritablement gaspillé l’année qui vient de se finir.

Malgré le soutien de l’ambassade américaine et des Nations Unies, Karzai a abandonné son agenda de réformes en faveur d’un maintien du statu quo et de la conservation du pouvoir. L’Afghanistan n’avait jamais eu de gouvernement central puissant, et seulement maintenant l’administration pense à étendre sa légitimité politique au-delà du centre du pays, c'est-à-dire aux provinces lui ayant échappé jusque là. De plus, de très nombreuses pièces législatives (notamment celles qui encouragent l’investissement local et étranger, le renforcement des organes et institutions d’Etat, l’établissement d’un système judiciaire moderne,….) n’ont toujours pas été mises en application.

Croyant dans les discours de leur dirigeant déclarant qu’il souhaitait voir se constituer un vaste programme de responsabilisation concernant les violations des droits de l’homme commis par les chefs de guerre durant les 25 dernières années, le peuple afghan espérait qu’il allait entreprendre des mesures contre eux. Au lieu de cela, les chefs de guerre ont simplement été renvoyés de leurs positions dans les cabinets gouvernementaux ou de leurs postes provinciaux. Pas un seul baron de la drogue –beaucoup des barons de la drogue ne sont autre que des chefs de guerre aisément identifiables, des membres du gouvernement et des commandants militaires- n’a été inquiété ou inculpé.

Et les premiers résultats de l’élection indiquent que les chefs de guerre et leurs soutiens politiques domineront le futur parlement. Ils chercheront certainement à bloquer tout agenda de réforme pouvant potentiellement être entrepris par Karzai et également manoeuvrant pour faire retirer les hommes politiques nommés dans les ministères qu’ils considéreront comme progressistes afin d’installer leurs propres pions. Au lieu de se focaliser sur les enjeux du développement national et de la reconstruction, le parlement deviendra certainement un obstacle pour la réalisation de ces deux objectifs.

De plus, le refus de Karzai d’autoriser un système de partis politiques à prendre pied dans le pays avant les élections –un des critères d’une démocratie véritable- permettra aussi aux chefs de guerre d’exercer une influence non désirable. Un homme indécis à un moment de grandes décisions, Karzai ne parviendra selon toutes apparences à avoir le contrôle ou à s’opposer au nouveau parlement. Karzai croit que les partis politiques sont responsables de la destruction de l’Afghanistan dans le passé et qu’il peut contrôler le parlement à travers des réunions bilatérales avec ses représentants.

Alors que les choses tendent à se en Afghanistan, les pays occidentaux montrent des signes de lassitude et déclarent vouloir se retirer à un moment où leur présence est la plus nécessaire. “ Le besoin de l’implication de la communauté internationale dans le pays et leur patience est absolument essentielle”, déclare le lieutenant-général Karl Eikenbarry, le chef des forces américaines en Afghanistan.

Les Etats-Unis, cependant, pourraient réduire leur engagement. Le Secrétaire à la Défense Donald Rumsfeld a indiqué son désir de voir un quart des 18000 troupes américaines présentes en Afghanistan se retirer au printemps prochain, pour être remplacé par des forces militaires de l’OTAN. Soucieux de l’insurrection irakienne, inquiet des conséquences politiques de l’ouragan en Louisiane, et vigilant aux sondages de popularité les plus bas de mémoire américaine, le président George W. Bush recherche désespérément un moyen de montrer au peuple américain un succès dans la guerre contre le terrorisme et souhaite également voir certaines des troupes engagées à l’étranger revenir au pays.

Les plans militaires actuels prévoient que la coalition américaine combattant les talibans et la force de maintien de la paix de l’OTAN fusionneront au printemps 2006. Mais de grands membres de l’OTAN, dont la France, l’Espagne et l’Allemagne, tentent de résister à cette probable fusion des forces armées et se refusent à prendre part à la lutte contre les guérillas. D’autres membres européens de l’OTAN refusent d’engager plus de troupes en Afghanistan –même au sein de forces de maintien de la paix.

La communauté internationale donatrice semble vaciller dans son engagement à fournir une aide suffisante pour reconstruire le pays afin qu’une économie auto suffisante soit en capacité d’émerger. Les nations occidentales bienfaitrices se sont engagées à verser au gouvernement afghan une moyenne de 2,5 billions de dollars chaque année des quatre destinées à la reconstruction du pays, mais moins que la moitié a été actuellement versée. Quatre années ont passé, pas un barrage, pas une seule usine électrique ou système de distribution d’eau n’ont été construits. L’Afghanistan demeure le troisième pays le plus pauvre de la planète.

Bien que les nations occidentales financent aussi l’entraînement de l’armée afghane, de la police, l’établissement d’un système judiciaire et d’organes bureaucratiques, le processus est trop lent. Jean Arnault, l’envoyé spécial de l’ONU en Afghanistan déclare que le peuple afghan est “exaspéré” face à l’incapacité de l’appareil d’Etat et du mauvais fonctionnement de ses organes judiciaires.

Karzai a fait face à de plus grands problèmes en 2001, mais il a toujours tenu compte du souhait du peuple à voir s’engager des réformes réelles destinées à mettre un terme aux abus du passé. Désormais, après quatre ans, peu de changements dans la vie quotidienne des afghans ont eu lieu, et ils commencent à montrer leur mécontentement. Karzai semble agir contre les désirs de son peuple en protégeant de facto les chefs de guerre, en refusant d’autoriser les partis politiques, ou en ne prenant pas les mesures adéquates pour voir s’établir une véritable responsabilité politique. Cependant, il a toujours le temps de revoir ses positions et de revenir aux cotés de son peuple.

Le système politique afghan ne parviendra pas à s’implanter durablement sans une aide substantielle de la communauté internationale, et ce, à long terme. Finalement, seul un engagement occidental renouvelé –et non pas un retrait- donnera aux afghans la confiance nécessaire pour s’attaquer aux problèmes monumentaux qu’ils rencontrent. Il faudra être uni pour réussir à reconstruire l’Afghanistan.

Ahmed Rashid is the author of “Taliban” and “Jihad” and is a correspondent for the Daily Telegraph for Pakistan, Central Asia and Afghanistan. Traduit par Jean-Baptiste Davoust.

© 2005 Yale Center for the Study of Globalization