Sensiblement, le rapprochement russo-chinois se precise
Sensiblement, le rapprochement russo-chinois se precise
SPRINGFIELD, Ohio: Pour la première fois depuis que l’URSS et la Chine se sont déclarées la guerre pour une question frontalière en 1969, les forces armées des deux Etats se font face de nouveau –mais cette fois, ce face à face n’accompagne pas des démonstrations d’hostilité entre elles, mais au contraire de coopération puisqu’elles doivent mener en commun une série d’exercices militaires terrestres et maritimes. Cette coopération, dénommée « Mission de paix 2005 » est la preuve d’un bouleversement de la situation géostratégique en Asie de l’Est ; bouleversement qui a poussé les ennemis de hier à se rejoindre. Pourtant, il existe d’immenses obstacles à la transformation de ce « partenariat stratégique » en véritable bloc et alliance militaire.
Débutant, fin août 2005, au large de l’avant poste russe dans le pacifique, le port militaire de Vladivostok, les exercices militaires engageant 9000 soldats russes et chinois pendant huit jours, se sont ensuite déployés face à la côte du nord-est de la Chine. Ce type d’exercices militaires entre les deux pays est réellement inédit, même la « lune de miel » russo-chinoise des années 1950 n’avait pu voir se réaliser de tels exercices.
Officiellement, ces exercices avaient pour but de s’entraîner afin d’être entièrement opérationnels pour assurer les fonctions « anti-terroristes » de la SCO, un prétexte commode employé à outrance par pratiquement tous les Etats dans l’après 11 septembre.
Cependant, les composantes militaires déployées lors de ces exercices russo-chinois –débarquement, exercices d’opérations de parachutistes, minages des mers, embargo maritime, bombardement au biais de missiles et de bombes de précision, tir de missiles depuis des sous marins- sont certainement disproportionnés dans le cas d’opérations anti terroristes.
L’emplacement des exercices avait fait débat entre Moscou et Pékin. L’idée d’exercices en Asie centrale, où l’Organisation de Coopération Shanghai dominée par les deux pays aurait chapeauté les opérations, a été abandonnée. Alors que des commentateurs chinois suggèrent que l’emplacement choisi finalement pour les exercices ressemble fort aux côtes taiwanaises, les médias russes, quant à eux, spéculent sur une occupation conjointe de la Corée du Nord si cela s’avérait nécessaire.
Les deux puissances n’ont eu de cesse que l’objectif de ces exercices ne visait aucune tiers partie. Mais peu dans la région ne croient en cette déclaration. Au biais de canaux diplomatiques et militaires, les Etats-Unis et leurs alliés avaient invité la Russie et la Chine à réduire la portée de ces exercices, ou même à les annuler totalement. La Chine et la Russie, néanmoins, ont maintenu ces exercices pour le 18 août. Le jour suivant, le Secrétaire d’Etat Condoleezza Rice a délivré un commentaire inhabituellement sévère sur l’accroissement des capacités militaires chinoises « disproportionné pour ses intérêts régionaux ».
Dans le même temps, les Etats-Unis et leurs alliés ont mené leurs propres manœuvres militaires. Le 7 août, le commandement américain du Pacifique a mené, durant une semaine, des exercices aéro-maritimes sur les îles d’Okinawa et de Guam. Il représenta l’exercice le plus important en dehors du territoire américain, avec plus de 10000 soldats, 100 avions de combat, et le groupe aéronaval Kitty Hawk engagés. Le 22 août, la Corée du Sud et les Etats-Unis ont mené en commun, durant une période de douze jours, un exercice dénommé « Ulchi Focus Lens 2005 », associant 10000 troupes américaines et un nombre non révélé de troupes sud coréennes. Quant à Taiwan, le jour suivant les manœuvres russo-chinoises, Taipei a organisé un exercice de « routine » simulant les méthodes de riposte et de refoulement d’une attaque du territoire national. Enfin, les Etats-Unis et le Japon ont prévu des manœuvres communes pour début 2006.
Dans une optique plus large, les exercices militaires russo-chinois sont la démonstration d’une volonté d’étendre le partenariat stratégique entre les deux Etats. Le sommet annuel entre Moscou et Pékin qui s’est tenu en Russie, en juin dernier, a permis aux deux gouvernements de se mettre d’accord sur une déclaration établissant leur vision de l’ordre international au XXI siècle. Cette déclaration en appelait au respect du droit international et à ses principes, à un rôle accru des Nations Unies, au multilatéralisme, au dialogue équitable, au développement et au renouveau du cadre sécuritaire mondial.
Ces principes déclarés pour un nouvel ordre reflètent leurs inquiétudes pour le monde de l’après 11 septembre : la politique étrangère agressive de l’administration Bush, l’accroissement des capacités militaires japonaises, la crise nucléaire nord-coréenne imprévisible, la course aux armements inévitable dans le détroit de Formose et la succession des révolutions « colorées » à travers le monde ex-soviétique. La conférence américano-japonaise « 2+2 » du 19 février dernier, a été perçue comme étendant le partenariat stratégique entre les Etats-Unis et le Japon à la protection de la péninsule coréenne et de Formose.
Hormis les problèmes à long terme qui pourront se poser dans leurs relations avec les Etats-Unis, la « lune de miel » de l’après 11 septembre entre la Chine, la Russie et l’administration Bush semble brisée. Bien que les deux pays continuent publiquement de supporter la politique américaine anti terroriste, ils s’inquiètent des activités américaines « fortes » et « douces » dans leurs périphéries. Plus concrètement, pour répondre à cette inquiétude, le sommet annuel de la SCO en juillet 2005 a abouti à exiger des Etats-Unis un agenda de retrait de leurs troupes d’Asie centrale.
En termes bilatéraux, les manœuvres communes sont à bien des égards le résultat d’un partenariat purement militaire entre la Chine et la Russie, partenariat qui misait plus sur une confiance renouvelée et sur les ventes d’armes russes à la Chine. Les deux Etats-majors, en réalité, ne partagent pas les mêmes visions en termes de principes opérationnels et de doctrines militaires. Ils ne se posent également pas la question de savoir comment leurs unités polyvalentes et leurs plateformes militaires respectives pourront établir une communauté et une coordination effective. En effet, les officiers de chaque bord sont plus anglophiles que sinophiles ou russophiles. Les mois qui ont précédé ces exercices ont pu témoigné des négociations entre chinois et russes concernant le format, l’échelle, les composantes et les lieux des manœuvres. Par contraste, les manœuvres entre les Etats-Unis et ses alliés asiatiques sont nettement plus intégrés. La dominance américaine dans ses relations d’alliances, assure certainement une efficacité opérationnelle lors de tels exercices en commun.
Bien que de nombreuses déclarations des deux pays ont tenu à garantir que ces exercices militaires jusque là inédits, ne visaient aucun but ni territoire en particulier, Pékin est obsédé par Taiwan. Le Ministre de la Défense russe Ivanov, a déclaré publiquement, cependant, que ces manœuvres n’indiquaient pas que la Russie « est prête à s’impliquer dans des opérations militaires conjointes avec la Chine ». Si le but de la Russie est « les armes mais pas de guerre », cela donne sens au fait que Moscou n’ait engagé dans ces exercices qu’un nombre minimum de troupes au sol (1800 soldats contre 7000 chinois) et ait choisi, soigneusement, les types d’armes déployées. « Nous ne mettons pas tout ce que nous avons en vente » a précisé une source officielle du Ministère de la Défense russe. « L’objectif principal est de ne pas mettre en danger la sécurité nationale ». Le choix d’utiliser les bombardiers stratégiques Tupolev dans les manœuvres répondait au désir d’en tirer un profit financier au lieu de les détruire tout simplement. Dans le même temps, les modèles russes les plus récents n’ont pas été utilisés ni exposés aux yeux des forces armées chinoises. Il reste à voir comment l’Air Force chinoise répliquera, puisque la quête perpétuelle de la supériorité aérienne dans d’éventuelles opérations contre Taiwan passe obligatoirement par l’achat de centaines de bombardiers lourds de type russe Sukhoï.
Mais même avec une parfaite harmonie dans leurs relations militaires, Moscou et Pékin doivent faire face à de très mauvaises relations civiles et économiques. L’année dernière, la balance commerciale entre les Etats-Unis et la Chine était de huit fois supérieure que celle russo-chinoise (170 milliards de dollars contre 21 millions respectivement). De plus, les deux sociétés semblent plus attirées par l’Ouest que par chacune d’entre elles. Les vastes régions à l’Est de la Russie, se méfient de tout ce qui est chinois –malgré le fait que, pour la première fois dans l’histoire, la frontière de 4300 kilomètres entre la Russie et la Chine, n’est plus un problème.
En conclusion, les manœuvres russo-chinoises tendent à une plus grande stabilité de l’Asie du Nord-Est. Dans ce but, les deux parties se sont engagées diplomatiquement et politiquement dans les pourparlers lors de la crise nucléaire coréenne. Etant toutes deux dépendantes des Etats-Unis et de l’Occident pour leur prospérité économique, leurs relations militaires ne peuvent qu’être un accessoire supplémentaire parmi d’autres au sein de leurs politiques.
Yu Bin is a professor of political science at Wittenberg University in the US, Senior Research Associate for the Shanghai Institute of American Studies, and currently visiting scholar at the American Study Center of Fudan University in Shanghai. He is also a regular contributor to Comparative Connections, Pacific Forum, CSIS on Sino-Russian relations. He can be reached at byu@wittenberg.edu. Traduit par Jean-Baptiste Davoust.