Le dossier nucleaire iranien pourrait provoquer une profonde rupture au sein de la Communaute internationale

Le dossier nucleaire iranien pourrait provoquer une profonde rupture au sein de la Communaute internationale

Le soutien donné à Téhéran’ par les pays non alignés les place en opposition directe avec la position adoptée par les nations occidentales
Dilip Hiro
Tuesday, September 13, 2005

LONDON: Après des mois de longs et difficiles marchandages, les négociateurs iraniens et européens sont arrivés au bout de la piste. Les efforts occidentaux pour empêcher l’Iran de reprendre la production de combustible nucléaire pourraient aboutir à une rupture au sein de la communauté internationale.

Au mécontentement des négociateurs américains et de la Troika européenne – Grande Bretagne, France et Allemagne-, le dernier rapport publié par l’Agence Internationale de l’Energie Atomique sur le dossier iranien n’a pas critiqué les agissements de l’Iran, critiques auxquelles s’attendaient les nations occidentales.

De plus, le document indique que les tests opérés par l’AIEA tendent à renforcer que les déclarations de Téhéran selon lesquelles les traces d’uranium enrichi découvertes deux ans auparavant dans des centrales nucléaires iraniennes provenaient en réalité des équipements importés par le pays, d’origine vraisemblablement pakistanaise. Sans surprise, Washington a immédiatement qualifié ces affirmations de l’AIEA inexploitables car reposant sur aucun fondement valable.

Le mécontentement des Européens et des Américains se renforça avec le rapport publié peu après par l’Institut International d’Etudes Stratégiques de Londres. Le rapport révélait que l’Iran aurait besoin de dix ans supplémentaires afin de construire une centrifugeuse capable d’aboutir à une production de masse à Natanz, là où existe déjà une petite centrifugeuse à titre d’essai.

Actuellement, la frustration européenne est palpable –et elle est largement partagée avec Washington. Une telle convergence d’opinions et de sentiments pourrait facilement conduire à une majorité au Conseil de Sécurité des Nations Unies –où quatre des cinq membres permanents sont soit européens soit américains- en cas de vote punissant le refus de l’Iran d’abdiquer définitivement son droit à enrichir de l’uranium.

Malheureusement pour les puissances occidentales, le dossier nucléaire ne peut être transféré au Conseil de Sécurité que par le Conseil des Gouverneurs de l’AIEA, or la composition de ce conseil, forte de 35 membres, n’est pas si inégalitaire que celle du Conseil des Nations Unies. Quinze des gouverneurs de l’AIEA appartiennent au mouvement des Non alignés, mouvement représentant 116 des 191 pays membres de l’ONU.

En réalité le problème fondamental du débat actuel sur l’enrichissement de l’uranium réside en ceci: le monde en voie de développement a t il le droit de développer et d’utiliser la technologie nucléaire, y compris, l’enrichissement de l’uranium ?

La réponse de Téhéran est univoque. “Oui”, et le mouvement des non alignés est en accord avec ce point de vue. Les européens ne nient pas ce droit; mais ils désirent que l’Iran abandonne définitivement ses prérogatives en échange d’un engagement européen à la construction de centrales nucléaires dans le pays et au renforcement commercial avec l’Iran.

Signer un tel accord rendrait l’Iran totalement dépendant de l’Union Européenne pour la construction de centrales nucléaires et pour la production d’uranium enrichi -une négation profonde des buts affichés lors de la révolution iranienne de 1979: reconquérir l’indépendance et la souveraineté iraniennes.

“Pour l’Iran, la technologie nucléaire est un domaine qui touche à la fierté nationale et représente une démonstration de son indépendance politique et technologique envers les anciens colonisateurs”, déclare Daryl Kimball, le directeur exécutif de l’Association pour le contrôle des armes, une organisation non gouvernementale spécialiste des dossiers nucléaires. Kimball ajoute, “C’est bien plus compliqué qu’une simple équation sur l’économie et l’énergie »

De leur côté, les iraniens focalisent leurs discours sur les demandes européens réclamant que le programme nucléaire soit utilisé à des fins uniquement civiles, et non militaires. En mars, les négociateurs iraniens ont remis à leurs collègues européens des propositions détaillées sur un contrôle strict de l’AIEA sur leur programme nucléaire. Le régime décrié est même allé plus loin que les dispositions inscrites dans le Traité de Non-Prolifération Nucléaire (TNP), signé par Téhéran en décembre 2003. Mais l’Iran a également répété qu’il refusait de renoncer définitivement à son droit à développer toute technologie nucléaire.

Le cadre proposé par la Troïka européenne à Téhéran en début Août consistait en des promesses d’aides économiques et d’aides à la construction de centrales nucléaires civiles, mais à condition que l’Iran renonce définitivement à ses droits. Le cadre incluait également la signature d’un accord selon lequel l’Iran ne pouvait pas se retirer du TNP –comme la Corée du Nord l’a fait- sous toutes circonstances.

Téhéran a rejeté la proposition. En violation flagrante avec ses engagements à suspendre ses travaux d’enrichissement d’uranium, l’Iran a repris ses activités à la centrale située près de Ispahan, où l’oxyde d’uranium est transformé en gaz hexafluoride d’uranium –sous les yeux des inspecteurs de l’AIEA. Ce gaz est l’élément essentiel afin d’enrichir l’uranium à différents degrés : 4 % pour l’utilisation au sein de centrales électriques, 20 % pour des réacteurs de recherche, et 90 % pour la fabrication d’armes.

En réponse à ce refus iranien, les européens ont menacé de traîner le pays devant le conseil de sécurité des nations unies. Mais c’était en réalité une menace dénuée de toute crédibilité.

Durant le sommet organisé d’urgence de l’AIEA, les négociateurs européens et américains ont découvert qu’ils manquaient de la majorité dont ils devaient impérativement obtenir le soutien. Alors ils se sont résolus à demander à l’Iran de suspendre ses activités relatives à l’enrichissement de l’uranium, pour attendre la publication du rapport du secrétaire général de l’AIEA Mohammed el Baradei, le 3 septembre 2005.

Le document de 15 pages de El Baradei est un ensemble un peu vague. Alors qu’il insiste sur la nécessité de la transparence, le rapport n’infirme pas les conclusions antérieures selon lesquelles l’AIEA n’aurait trouvé aucune preuve qui amènerait à penser que l’Iran se soit engagée dans un programme d’armes nucléaires interdit.

La seule possibilité de traîner l’Iran devant le Conseil de Sécurité des Nations Unies serait une violation du régime de non prolifération nucléaire tel qu’il est défini par le TNP. Suivant l’assemblée réunie d’urgence, la Russie –qui est chargée par l’Iran de la construction d’une centrale nucléaire civile près de Bushehr- a déclaré qu’il n’y avait aucune preuve pour démontrer que l’Iran violait le régime de non prolifération.

Lors de la session extraordinaire de l’AIEA, parmi les gouverneurs qui étaient attachées aux preuves du ‘terrain’, faisaient parties ceux originaires des nations constituant le mouvement des non alignés, dont des poids lourds comme le Brésil, l’Indonésie et l’Afrique du Sud.

Rajmah Hussein de Malaysie, l’actuel président du mouvement des non alignés, a réaffirmé la position du mouvement selon laquelle tous les pays ont “le droit fondamental et inaliénable” de développer une énergie atomique dans des buts pacifiques.

Les membres du mouvement des non alignés ont souligné le fait que les nations occidentales soupçonnaient l’Iran de vouloir développer une activité nucléaire militaire, parce qu’il possédait de grandes ressources de pétrole et de gaz naturel; pourtant la question ne s’est jamais posée pour la Russie, qui possède un grand nombre de centrales nucléaires alors qu’elle détient les plus larges ressources de gaz naturel du monde. Sans bouleversement inédit, selon une estimation récente effectuée par le British Petroleum, la consommation de pétrole iranienne devrait croître si rapidement qu’il deviendra un importateur de pétrole en 2024.

Volontairement ou non, l’Iran est devenu le champion du Tiers monde, en s’opposant avec courage et conviction aux puissances occidentales. Cela lui a permis d’obtenir l’admiration silencieuse de beaucoup de dirigeants du mouvement des non alignés, qui craignent que les limitations imposées à l’Iran puissent éventuellement, être retournées contre eux. L’expérience des derniers mois a fait clairement savoir qu’une pression plus intense sur l’Iran pour qu’il renonce à son droit à enrichir l’uranium pourrait certainement entraîner une fissure profonde entre le monde développé et le monde en voie de développement. Cette politique de doubles standards concernant l’application des règlements issus du TNP est arrivée à son crépuscule.

Dilip Hiro’s latest book is The Iranian Labyrinth: Journeys Through Theocratic Iran and its Furies [Nation Books]. Traduit par Jean-baptiste Davoust.

© 2005 Yale Center for the Study of Globalization