Elaborer une communauté mondiale

Elaborer une communauté mondiale

William J. Clinton
Monday, November 10, 2003

La plupart des gens considèrent aujourd'hui notre époque comme étant celle de la mondialisation. Pour une majorité d'Américains, l'ère de la mondialisation est synonyme d'énormes profits. Pendant les huit années de ma présidence, les échanges commerciaux n'alimentaient qu' un tiers de notre croissance. L'application des nouvelles technologies d'information à tous les secteurs de l'économie a contribué, pour beaucoup, à la hausse considérable de notre productivité, de même que l'ouverture de nos frontières à de nouveaux immigrants venus des quatre coins de la planète a donné un nouvel élan à notre esprit d'entreprise. Pour nous, tout cela s'est avéré positif. Mais le principe d'interdépendance mondiale n'est, a priori, ni bénéfique ni néfaste. Il peut être l'un ou l'autre, voire les deux.

Le 11 septembre 2001, les terroristes d'Al-Qaeda ont utilisé divers éléments conjugués de la mondialisation (perméabilité des frontières, facilités de déplacement, souplesse de l'immigration, accès aisé à l'information et à la technologie), pour transformer un avion rempli de kérosène en arme de destruction massive, tuant près de 3 000 personnes aux Etats-Unis - dont quelques centaines d'individus issus de 70 pays étrangers, venus s'implanter chez nous pour tirer profit d'une mondialisation constructive. Parmi les victimes, plus de 200 étaient de confession musulmane - ceci pour donner une idée de la diversité religieuse et de l'aspect positif de la mondialisation.

Mon postulat de base est le suivant : du fait de son instabilité, la mondialisation - et toutes les promesses qu'elle contient - aboutit inévitablement à une impasse. Nous ne pouvons continuer à vivre dans un monde où le phénomène d'interdépendance va en s'amplifiant, car nous ne disposons d'aucune instance supérieure qui permette aux éléments positifs de la mondialisation d'en contrebalancer les effets négatifs.

Il me semble, en conséquence, que toutes les têtes pensantes, a fortiori au sein de ce pays, devraient tenter de résoudre ces trois questions fondamentales. Primo : quelle est notre vision du vingt-et-unième siècle ? Secundo : que devons-nous faire pour mettre cette conception en pratique ? Et tertio : quel rôle l'Amérique doit-elle jouer ?

Sur le premier point, mon avis est que le grand enjeu du XXIe siècle se résume à l'élaboration d'une véritable communauté mondiale. Cela consiste à passer du stade de l'interdépendance à celui de l'intégration : en d'autres termes, parvenir à une communauté qui présente ces trois caractéristiques : le partage des responsabilités, le partage des bénéfices, et le partage des valeurs.

En ce qui concerne le deuxième point (comment vous y prendriez-vous pour édifier un monde qui réponde à ces critères ?), j'en reviendrais au partage des responsabilités, et je dirais que ce qui s'impose en premier lieu, c'est la lutte pour la sécurité et contre le terrorisme, contre les armes de destruction massive, le crime organisé et les narco-trafiquants.

Prendre des responsabilités communes donc, pour démanteler Al-Qaeda et les réseaux terroristes. Redémarrer le processus de paix au Moyen-orient. Résoudre la question de la menace nucléaire et des missiles nord-coréens. Encourager un nouveau dialogue entre les deux puissances nucléaires que sont l'Inde et le Pakistan. Faire que l'Irak d'après-guerre soit une transition réussie vers un gouvernement démocratique autonome. Aider d'autres pays, tels que la Colombie ou les Philippines, à combattre le terrorisme, et obtenir la réduction globale des stocks de substances chimiques, biologiques et nucléaires.

La seconde grande responsabilité à partager, est la mise en place d'institutions de coopération mondiale impliquant le plus large éventail de zones possible. Ainsi, pourra-t-on couramment envisager de résoudre nos différends sur un mode pacifique, suivant des règles et des procédures considérées comme justes par tout un chacun. En effet, sans le support de telles institutions, il semble difficile de garder à l'esprit le principe du partage des responsabilités.

Dans ce monde de l'interdépendance, il importe également de partager les bénéfices. Pourquoi ? Pour une raison simple : si vous venez d'un pays riche, ouvert, et à moins que vous estimiez être en droit de tuer, d'emprisonner ou d'occuper vos ennemis comme bon vous semble, il est de votre devoir d'oeuvrer pour un monde plus solidaire, avec plus de partenaires et moins de terroristes.

Comme nous le constatons chaque jour en Irak, l'armée américaine est la seule superpuissance militaire au monde. Nous sommes à même de remporter n'importe quel conflit militaire par nos propres moyens. En revanche, nous ne sommes pas en mesure de (re)construire la paix sans appui extérieur. Quelles leçons en tirer ?

Cela signifie, entre autres, qu'il nous appartient de dégager des opportunités économiques pour les cinquante pour cent de la population du globe qui vit avec deux dollars ou moins par jour, élargir le commerce avec les pays en voie de développement, leur fournir une aide plus appropriée. Cela implique un nouvel allègement de la dette des pays pauvres, avec en parallèle le développement de systèmes économiques éducatifs et sanitaires. Cela suppose aussi le financement de projets pouvant servir de socle à l'édification d'économies stables, fonctionnelles et productives. Enfin, il faut éduquer les populations mondiales qui, à l'heure actuelle, ne sont pas en mesure de participer positivement à la mondialisation.

Je me suis entretenu avec le secrétaire général des Nations unies du travail que j'effectue pour combattre le sida en Afrique et dans les Caraïbes. Nous allons bientôt être en mesure d'acheter des médicaments pour moins de 140 dollars par personne et par an, mais, afin que la médecine prenne toute son efficacité, il nous appartient de financer dans ces pays le développement de systèmes de santé autonomes. Nous ne pratiquons pas une science de haut vol, mais, pas à pas, nous édifions un monde avec «plus de partenaires et moins de terroristes. Je suis favorable à une position ferme en matière de sécurité, mais nous ne pouvons décemment pas tuer, emprisonner ou occuper tous nos adversaires potentiels du moment. Et le moins qu'on puisse dire, c'est que nous nous investissons très timidement dans l'élaboration d'un monde plus amical et moins hostile.

Pour en venir à la troisième question (quelles responsabilités l'Amérique doit-elle endosser ?), mon credo est que l'Amérique devrait coopérer le plus possible avec le maximum de régions chaque fois qu'elle le peut, et faire cavalier seul uniquement en cas de nécessité. Prenez ceux d'entre nous qui, dans le camp des alliés, faisaient plutôt partie des va-t-en-guerre. J'étais partisan de la résolution des Nations unies qui, en novembre dernier, disait à Saddam Hussein : Soit vous laissez revenir les inspecteurs, soit nous vous destituons. Là où ma position a commencé à diverger, c'est lorsque nous sommes passés de la coopération avant toute chose à nous avons les Nations unies et nous déciderons quand Hans Blix en aura fini avec ses inspections. L'inspecteur des Nations unies réclamait encore quatre, cinq ou six semaines pour achever son travail, mais les faucons étaient résolus à ne pas le laisser aller au bout de ses investigations.

Je persiste à croire que nous devrions voir si les Nations unies peuvent prendre en charge la sécurité de l'Irak, confier à l'Otan le soin de s'en occuper, tout en associant à cette tâche les pays membres de l'Otan opposés au conflit militaire. Cela prouverait que nous nous efforçons tous de construire, en Irak, une démocratie multipartite, multiethnique et multitribale. Mais la plupart des difficultés que nous rencontrons, aujourd'hui, font que la situation n'est pas propice à une action unilatérale.

Pour terminer, laissez-moi vous dire une dernière chose : je suis convaincu que le fondamentalisme - au sens où l'on croit détenir la vérité suprême et le droit de l'imposer aux autres - ne constitue pas une réponse adaptée aux problèmes du monde moderne, tant sur le plan religieux que politique. Il est largement préférable de traiter ces problèmes de manière pragmatique en se fondant uniquement sur des faits et des discussions, de privilégier l'expérimentation aux conclusions hâtives.

En se laissant guider par l'idéologie, on court le risque de commettre des erreurs. Le monde regorge de questions épineuses qui n'appellent pas de réponses évidentes. On peut ne pas être d'accord sans pour autant être ennemis.

L'opposition à la mondialisation prend sa source parmi des peuples qui se sentent laissés pour compte, et se font piétiner par d'autres pays. Si, comme moi, vous croyez au commerce étendu, et si vous pensez que l'Amérique a le devoir de maintenir ouvertes ses frontières et d'investir davantage dans le développement des pays pauvres, c'est ici même que nous devons puiser les ressources politiques pour y arriver. Le seul moyen d'y parvenir est de continuer à faire fonctionner au mieux notre économie, et de rendre notre société plus unie. Il nous faut construire une communauté intégrée. Sans quoi nous ne trouverons pas chez nous le soutien politique pour faire ce que nous devons faire dans le reste du monde.

William J. Clinton was the 42nd president of the United States of America. This is adapted from a speech he delivered at Yale University on October 31, 2003, at the invitation of the Yale Center for the Study of Globalization.

© 2005 Yale Center for the Study of Globalization