La liberation d’un prisonnier ne prefigure pas un repit au Xinjiang
La liberation d’un prisonnier ne prefigure pas un repit au Xinjiang
HONOLULU : La récente libération de la femme d'affaires musulmane Ouigour Rebiya Kadeer d'une prison chinoise à la veille de la première visite officielle du Secrétaire d'Etat américain Condoleezza Rice a sans doute rendu le voyage moins périlleux. Mais il a aussi souligné la tension continue entre les minorités Ouigours au Xinjiang chinois et le gouvernement chinois. À la suite de la décision américaine de ne pas inculper les détenus Ouigours capturés en Afghanistan, la libération de Kadeer suggère une convergence d'idées de la part de la Chine : tous les adversaires du régime de Pékin au Xinjiang peuvent ne pas être nécessairement des rebelles islamiques fondamentalistes ou des terroristes.
En août 1999, Kadeer a été arrêté pour avoir "révélé des secrets d'état." Les fonctionnaires chinois pensaient alors qu'elle était la source financière principale des terroristes ouigours, mais les activistes de droits de l'homme ont répliqué qu'il n'y avait pas assez de preuves pour l’emprisonner. Quant aux prisonniers, bien que Washington n'ait pas officiellement avoué retenir des Ouigours dans sa base de Guantanamo en Cuba, des rapports récents ont souligné le dilemme auquel Washington était confronté pour leur rapatriement en Chine : on ne peut pas leur garantir un traitement équitable et humain, si l’on considère le respect des droits de l’homme en vigueur en Chine actuellement ; dans le même temps, aucun pays n’accepterait d’accueillir des musulmans suspectés d’avoir collaboré avec les Talibans et de surcroit ennemis déclarés de la Chine.
Cette situation difficile dans laquelle se trouvent les prisonniers ainsi que Kadeer ont entrainé un mécontentement croissant au sein de la population islamique Ouigour en Chine. L’exemple des élection irakiennes et des révolutions à travers le monde ex communiste souligne le problème auquel la Chine doit trouver une solution : si la Chine doit émerger sur la scène internationale en tant que puissance légitime, son comportement avec les dissidents deviendra crucial. Et si l’on se base sur l’histoire de ses relations avec la minorité Ouigour, rien de bon n’apparaît.
Fin 2003, le gouvernement chinois a inscrit le East Turkestan Independence Movement sur sa liste des organisations terroristes ; le Département d’Etat américain a d’ailleurs fait de même sur sa propre liste. Les analystes dénoncent les comportements des gouvernements chinois et américains qui se servent de la lutte contre le terrorisme pour créer des boucs émissaires : une inscription qui sert moins à prendre des mesures anti terroristes légitimes que de gagner un soutien international pour les initiatives du gouvernement pour le développement de la région Ouest riche en pétrole. En effet, la plupart des experts s’étant rendu dans la région suggère que l’attitude rugueuse de la Chine et son appui inconditionnel à la politique de « modernisation à tout prix », en dépit des risques environnementaux, civils et sociaux d’une telle politique, augmente la menace terroriste.
La Chine a lancé sa guerre contre le terrorisme en se focalisant sur un groupe non étatique, dont les membres sont pour la plupart basés à l’étranger depuis deux ou trois générations, dont les activités se déroulent surtout sur internet, et pour qui l’attraction vers l’islam radical est récente. Leur politique de violence peut seulement être comprise si l’on prend en compte le facteur ethnoreligieux –c'est-à-dire le désir de libération d’un peuple des griffes d’un système d’état nation qui ne leur correspond pas et qui occupe leur territoire. La région, dénommée par ses habitants sous le nom de Eastern Turkestan ou même Ouigouristan, n’a d’ailleurs pas eu d’appellation officielle, et n’a intégré les autres provinces chinoises qu’en 1884 sous le nom de « Xinjiang ».
En mai 2003, le gouvernement chinois a publié un rapport détaillé sur ce qu’il appelle « le problème du Xinjiang », qui pour la première fois répertoriait l’ensemble des actes de terrorisme perpétrés dans la région attribués aux mouvements d’indépendance du Turkestan Est. La police d’Etat a par la suite multiplié les descentes, les arrestations de centaines de suspects, a démantelé des caches d’armes, et a mené une campagne d’éradication des publications dénoncés comme soutenant la violence et les actes de terrorisme. On estime que dans un pays où ka peine de mort n’a pas été abolie, le Xinjiang détient le plus haut record d’exécutions, soit 1,8 par semaine, la plupart Ouigoures.
Des campagnes internationales pour la défense des droits des Ouigours et pour le soutien d’une éventuelle indépendance ont commencé à se multiplier efficacement, particulièrement par le biais d’Internet. Il y a au moins 25 organisations internationales et sites webs qui oeuvrent pour l’indépendance du « Eastern Turkestan », et à la suite des attentats du 11 septembre, la majorité de ces organisations ont dénoncé les actes de terrorisme, appuyant une résolution pacifique des conflits dans la région concernée. Néanmoins, l’influence croissante du « cyber-séparatisme » constitue un élément d’inquiétude pour les autorités chinoises qui cherchent à convaincre le monde que les Ouigours posent un réel problème en Chine mais aussi à l’étranger.
Les musulmans de Chine sont maintenant face au leur second millénaire sous occupation chinoise. Beaucoup des défis auxquels ils sont confrontés demeurent les mêmes qu’il y a 1400 ans, mais beaucoup d’autres sont le résultat d’une Chine en perpétuelle transformation vers une société plus globalisée, et ainsi que le résultat des conséquences du 11 septembre avec son corollaire, la guerre contre le terrorisme.
Bien que représentant une petite part de la population de la région, les musulmans d’Asie de l’Est sont néanmoins nombreux comparés à ceux de certains Etats musulmans. Des études démographiques récentes démontrent qu’il y a plus de musulmans vivant en Chine aujourd’hui qu’en Malaisie, et plus que dans toutes les nations du Moyen Orient, excepté l’Iran, la Turquie et l’Egypte. L’identité musulmane en Chine peut à merveille être décrite comme étant ethnoreligieuse, l’ethnicité et la politique de l’Etat ayant laissé une marque indélébile sur l’identité des musulmans chinois ; et il est pratiquement impossible de parler d’Islam sans références à l’identité ethnique ou nationale.
Si le Kosovo et la Bosnie peuvent servir de leçons, sans même mentionner les attaques à Madrid et à Amsterdam perpétrés par des immigrés marocains, l’échec de l’intégration des minorités musulmanes peut conduire à un démembrement national et à l’augmentation prévisible d’interventions internationales. En effet, la principale objection de la Chine à l’intervention de l’OTAN au Kosovo se fondait sur la peur que cela pourrait encourager les séparatistes du monde entier à espérer se voir réaliser leur rêve, un problème éventuel qui pourrait se poser au Xinjiang, au Tibet et même à Taiwan. Alors que la loi anti sécession récente votée par le parlement chinois vise Taiwan, elle peut aussi concerner le Xinjiang et le Tibet. De plus, lorsque l’on considère l’insurrection ethnique et religieuse en Irak, elle implique tout d’abord une minorité musulmane (les sunnites), qui se sent menacée par une domination probable des chiites et peut etre même des kurdes. Ainsi, même au Moyen orient, l’identité d’une minorité musulmane s’associe souvent avec l’origine ethnique ou religieuse.
L’Indonésie, nation musulmane, a ainsi combattu contre ses propres minorités musulmanes réclamant l’indépendance à Aceh, sans même mentionner la lutte aux Philippines.
L’intégration des minorités musulmanes en Chine peut être interprétée comme le souci de trouver un équilibre entre leur foi et la politique de l’Etat. En effet, l’exemple des musulmans Hui, la plus grande minorité musulmane chinoise, qui n’ont jamais vraiment été suspectés d’actes de terrorisme, démontrent qu’il existe des voies d’intégration. Les minorités les plus pauvres et les moins éduquées, les Tadjiks, les Dongxiang, les Baoan et les Salar, ont engagé une lutte armée et sont attirés de plus en plus vers l’islam radical. Plus important, les minorités kazakhs en Chine, qui sont au nombre de 1,3 millions, soit 1/8 de l’ensemble des populations kazakhs dans le monde, n’ont jamais prôné la réunion avec le Kazakhstan voisin.
Ceci suggère que le problème « Xinjiang » a moins à voir avec les Ouigours en tant que minorité musulmane, qu’avec les politiques d’intégration et de développement menées par la Chine dans la région. Si c’est le cas, la récente libération de Rebiya Kadeer, la loi anti sécession et une plus grand fermeté dans la lutte contre le terrorisme fera peu pour résoudre le problème existant au Xinjiang dans les années qui viennent.
Dru C. Gladney is Professor of Asian Studies and Anthropology at the University of Hawaii at Manoa. His most recent book is: Dislocating China: Muslims, Minorities, and Other Subaltern Subjects (Chicago University Press, 2004). On-line articles and projects can be found at www.hawaii.edu/dru. Traduit par Jean-baptiste Davoust.